Par Marie Noël, psychologue clinicienneL’année 2020 débute sur les « chapeaux de roues » pour Espace Intégratif et pour moi. Après une première année d’activités entamée et les perspectives excitantes qui se dessinent pour la 2ème (j’ai tellement hâte à la formation du 1er et 2 février prochains mais aussi de vous annoncer les prochaines formations à venir quand le tout sera officialisé!), je réalise comment ce projet me porte à prendre ma place comme je ne l’ai jamais fait, avec tout ce que ça comporte d’émancipation mais de doutes, de malaises et de fébrilité. Pour ceux qui me connaissent plus personnellement, me retenir de prendre la place et le pouvoir que j’ai souvent souhaité prendre de manière pourtant douce et bienveillante, est devenu une habitude que j’ai trop longtemps adoptée à tel point que je m’y suis confortée et même parfois éteinte. Ce qui peut sembler une exposition souhaitable maintenant pour vaincre certaines anxiétés, réparer certaines blessures et grandir, représente toutefois un défi de taille pour moi - défi sans cesse rappelé par une sensation de ne pas « avoir le droit », un malaise à habiter ce rôle que je me sais pourtant capable d’habiter. Le congé des Fêtes se prêtant à prendre un recul des activités professionnelles, de faire un bilan de l’année et de penser à ce qui s’en vient, j’ai pu m’attarder plus longuement à ce malaise senti, à y réfléchir autrement, en étant aidée par des bouffées d’air frais, des sorties au cinéma, des lectures, du temps pour parcourir ce qui défile sur mes écrans plus que 2 minutes à la fois… Une de mes réflexions m’a amenée sur le terrain des luttes souvent féminines (bien qu’elles soient aussi vécues parfois par les hommes) et féministes.
Les conditions et statuts de la femme dans notre société actuelle font la manchette depuis plusieurs années avec comme thèmes discutés de manière cyclique mais de plus en plus récurrente, l’exploitation et les violences sexuelles, physiques et psychologiques, les inéquités sociales et professionnelles, la place que les femmes prennent (ou ne prennent pas) dans les sphères et postes de pouvoir, etc. De manière plus individuelle, il est fréquent dans ma pratique clinique que mes clientes discutent de toutes sortes de manières ou cherchent, des façons de s’émanciper, que ce soit des aspects relationnels appris dans leur socialisation/éducation où elles se placent souvent, consciemment ou « naturellement », au service des autres, de leurs enfants, de leur conjoint(e), que ce soit des attitudes/valeurs qui les amènent à s’observer esthétiquement, à mettre l’accent sur leur apparence physique, que ce soit des comportements/choix qui leur paraissent plus socialement acceptables comme femmes, pour éventuellement penser à ce qu’elles veulent réellement, ce dont elles ont besoin et désirent profondément. Il est dans l’air du temps pour la femme en Occident de faire tourner les projecteurs sur elle, de l’encourager à prendre sa place, son pouvoir, et d’espérer une nouvelle ère de gestion et de direction plus sensible et humaine du monde dans lequel nous évoluons. Le discours de remerciement de Michelle Williams aux Golden Globes le 5 janvier dernier (https://www.youtube.com/watch?v=LRJNl4faTVA) en fait foi entre autres, de même que les films de Disney et l’univers de Marvel où les héros sont de plus en plus féminins. Il devient évident que la femme tente de prendre les rennes mais que ce n’est pas chose simple et facile. Comment peut-on espérer prendre notre place si nous ne cessons de défendre nos droits et notre pertinence? Le récent film très réaliste de Noah Baumbach « Marriage Story » en témoigne (disponible sur Netflix depuis le mois de décembre 2019 : https://www.netflix.com/ca-fr/title/80223779). Dans cette histoire de divorce et de garde partagée, la guerre entre les sexes et leur façon stéréotypée de jouer leur rôle parental et conjugal s’engage de plus belle quand Nicole (incarnée par Scarlett Johansson) fait appel aux services d’une avocate en droit familial pour la représenter dans ce litige où elle ne parvient pas autrement à s’affirmer auprès du père de son enfant et époux. Dans un système d’oppression/domination (réel ou perçu et reproduit, par habitudes intégrées en soi, venant avec des années d’adoption de rôles traditionnels dans les couples et les familles), l’opprimée (souvent la femme mais l’homme en souffre également) ne peut que « reprendre son pouvoir » plutôt que de le prendre pour vrai. Et quand elle le reprend, les rôles s’inversent sans que le système ne change de manière plus profonde. J’aime plutôt penser le féminisme tel qu’il s’incarne dans le plus récent film de Star Wars (Star Wars : l’ascension de Skywalker), où on voit Rey (incarnée par Daisy Ridley) combattre le Mal avec l’aide du transformé Kylo Ren (incarné par Adam Driver) qui parvient, avec toute sa force physique, à combattre l’ennemi en équipe avec cette femme puissante et intuitive qui l’a aidé à le rendre à lui-même, à se rappeler ses blessures vulnérabilisantes en réussissant enfin à les ressentir avec courage plutôt que de les dominer avec cette toute-puissance qui camoufle une peur profonde de sombrer. Le féminisme n’est donc pas qu’une « affaire de femme » et une reprise de pouvoir sur l’autre qui nous a dominé(e), il implique un rapport soutenu, peu importe le sexe, à notre expérience émotionnelle globale, où il n’existe plus d’opposition entre force et vulnérabilité. C’est là à mon avis que se trouve le vrai pouvoir. On ne cesse de le dire; la sensibilité et l’empathie ne devraient pas être caractéristiques d’un seul sexe et tel que nous le rappelle ce texte de Dean Masello dans le Huffington Post Québec (https://quebec.huffingtonpost.ca/entry/representation-femmes-victimes-violence-conjugale_qc_5e0a61d1e4b0843d360abe17), tant que nous éduquerons nos garçons de toutes sortes de façons (par l’éducation parentale mais aussi par les films et dessins animés qu’ils regardent et les influences sociales et culturelles diverses) à se dissocier de leur vulnérabilité et de leur sensibilité, tant que nous ne les écouterons pas avec empathie quand ils ont tout autant besoin d’espace pour s’exprimer dans leur expérience émotionnelle et leurs souffrances, nous nous trouverons dans une impasse qui empêchera les valeurs humanistes et féministes de triompher (et je dirais même, le monde de survivre). J’ajouterais aussi que tant que nous éduquerons nos filles par des réponses tout autant stéréotypées quand elles sont vulnérables (telles que de les consoler de manière surprotectrice) et que nous ne les écouterons pas avec empathie quand elles ont elles aussi besoin d’espace pour s’exprimer dans leur expérience émotionnelle et leurs souffrances, nous nous trouverons dans une impasse qui les empêchera de prendre leur pouvoir dans ce monde. Parce qu’autant il est dans l’air du temps d’encourager les femmes à prendre leur pouvoir, il est aussi malheureusement dans l’air du temps de faire entrer dans notre vocabulaire courant un terme illustrant la triste réalité de la masculinité étouffante, celui de « féminicide » que le Petit Robert a qualifié de « mot de l’année 2019 » (https://www.lapresse.ca/actualites/201912/20/01-5254583-feminicide-mot-de-lannee-du-petit-robert.php). Ne faisons pas erreur de penser que cette façon de vivre la masculinité n’étouffe que les femmes (bien qu’elles en soient encore les principales victimes et qu’elles soient le plus souvent en danger par toute cette violence perpétrée à leur égard), elle aliène les hommes depuis des siècles et nous a rendus là où on en est aujourd’hui. Alors, en 2020, amis psys, portons attention aux formes diverses que prend cette masculinité étouffante, que ce soit en prêtant une oreille perspicace quand on soupçonne qu’une femme se trouve dans une situation de danger dans sa relation conjugale, mais aussi quand on écoute nos clients masculins en thérapie nous raconter difficilement et à mots couverts leurs souffrances, aidons-les et aidons-nous à faire équipe pour affronter les défis de taille qui s’en viennent au plan planétaire pour que tous puissent vivre et espérer se trouver en lieu plus sécure où les malaises de prendre sa place se dissipent pour faire place à une envie toute simple d’exister et d’être bien. Bonne année professionnelle à vous et au plaisir de vous croiser dans les activités d’Espace Intégratif!
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Juin 2022
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