Par Marie Noël, psychologue clinicienne« Mes horaires de travail sont compliqués et je ne peux pas toujours venir au même moment ni à chaque semaine »
« Je vais annuler la semaine prochaine mais je conserve la suivante » « J’ai annulé à plus de 24h donc je suis ok pour les frais d’annulation » (dit un client qui a annulé 2 ou 3 rdv dans les dernières semaines) « Je pars en vacances pendant 1 mois, je serai de retour pour mon rdv régulier à ce moment » Et on peut continuer comme ça encore longtemps… Des contraintes qui paraissent anodines quand on se place dans la position du client peuvent devenir des frustrations pour le thérapeute qui les accumule et essaie de se former un horaire stable, dans des plages horaires parfois fixées à l’heure près (on ne travaille pas tous dans une flexibilité du temps plein). Frustrations qui embrouillent la compréhension des enjeux que ces demandes peuvent cacher parfois, parce qu’on peut en venir à mélanger ce qui est insécurisant pour nous, d’une simple contrainte d’horaire, d’enjeux vécus ou répétés par le client, ou exprimant quelque chose qui se passe dans la relation thérapeute-client. À défaut de bien identifier ce qui se passe, le thérapeute peut se tourmenter à savoir quoi en faire, il peut se perdre dans des réflexions parfois stériles ou partielles et perdre son temps dans ces dédales administratifs qui ne finissent peut-être jamais. Parce que même si on se définit un cadre le plus clair et le plus ferme qui soit, y’aura toujours une situation ou un client qui va venir le remettre en question, d’une manière ou d’une autre. On peut alors établir nos limites et se dire que l’on ne travaillera pas dans ces contextes mais c’est comme pour le reste, ça risque de nous confiner dans une certaine rigidité qui rend les avancées thérapeutiques difficiles, sans penser à la perte de clients potentiels pour qui les horaires sont effectivement tellement exigeants qu’ils sont autant pris dans ce système de productivité que nous le sommes aussi. Être plus flexible s’avère peut-être la seule manière de s’en sortir, mais quand nos propres horaires deviennent eux-mêmes chaotiques et instables, se pointent l’insécurité financière et les frustrations évoquées ci-dessus… alors on tourne en rond et on passe à côté de quoi finalement? La nécessité de se déposer quelque part pour évoluer et être heureux Permettez-moi de vous transporter dans un autre univers pour quelques lignes. Un enfant qui grandit et fait des nouveaux apprentissages bénéficie d’un espace de sécurité pour le faire. C’est logique et on le sait, on apprend très mal quand notre attention est portée à se réguler, soit parce que l’on a peur, soit parce que le chaos nous rend mal-à-l’aise. Mais on peut aussi penser que la sécurité n’est pas suffisante non plus. Un environnement surprotégé n’invite pas la découverte et la curiosité, il peut cultiver la peur que l’on cherche à éviter (la sécurité de cet environnement n’est donc pas une sécurité au sens des besoins émotionnels et affectifs), ou l’ennui, le genre d’ennui qui rend amorphe plus que créatif. Donc, l’échange optimal entre un parent et son enfant est celui qui est assez sécurisant pour développer la confiance pour explorer le monde, assez stimulant pour surprendre et pousser à aller plus loin. Quel rapport y a-t-il avec le cadre et les horaires de psy, vous me direz? En ce qui me concerne, j’aime penser que mon premier objectif avec un client quand il débute sa démarche est de nous offrir cet espace à la fois sécurisant (donc stable, régulier, prévisible), à la fois « développemental » (donc flexible, tenant compte de nouveaux éléments, s’y intéressant pour les comprendre, etc.). À noter ici que j’ai souligné le « nous » parce qu’il ne s’agit pas de l’offrir uniquement au client, nous aussi on en a besoin pour être en mesure d’intervenir efficacement avec lui. Cet espace est donc menacé de toutes sortes de façons. En partant du contexte professionnel des clients au contexte relationnel qu’ils ont connu dans leurs étapes préalables de développement. Quand on vit des situations qui viennent ébranler cet espace et notre rôle de « gardien de cet espace » (ou d’autres diront le « cadre »), on peut donc penser à ces deux contextes (professionnel et relationnel) comme prémisses de réflexion pour mieux identifier ce qu’on va faire avec ces demandes. Parfois ça nécessite des réaménagements d’horaire plus flexibles, parfois ça nécessite des discussions et une élaboration avec les clients des enjeux plus complexes sous-jacents, exploration qui, quand elle est fructueuse, devient éclairante pour savoir quels aménagements on fera (ou ne fera pas). Gardons en tête que nous avons un rôle à jouer pour préserver cet espace et le faire exister, pour que nous puissions travailler efficacement. En ce sens, il est de mise d’user d’une certaine fermeté pour le défendre, pour nous mais aussi et surtout pour les clients, afin qu’ils fassent une démarche qui leur permet de mieux se porter et se développer. Par contre, ce rôle de « gardien de l’espace ou du cadre » ne suffit pas quand des enjeux relationnels s’y répètent. Et c’est là que ça peut être source de confusion pour le thérapeute. Pour illustrer cela de manière plus précise, pensons à la régulation émotionnelle et affective. Optimalement, un contexte développemental et sécurisant serait une expérience relationnelle qui permet à la fois de sentir la présence rassurante de l’autre, à la fois de sentir un espace, au sein même de cette expérience relationnelle, pour être distinct, séparé, autonome et capable. C’est cette même expérience relationnelle que les thérapeutes, par leur présence et leur cadre, favorisent ou tentent de favoriser bien souvent. Or, de par les systèmes relationnels que nos clients ont connu et les nôtres, toutes sortes de mouvements, souvent implicites (et inconscients), peuvent se produire au sein de la relation thérapeute-client. Par exemple, quand un(e) client(e) a appris à se réguler de manière auto-suffisante, il est possible que je ressente une certaine distance dans le lien qui me dérange et m’inquiète et que je cherche alors le « contact » de multiples façons (et cela peut être très subtil, tant pour le thérapeute que pour le client). C’est possible ensuite que ce client(e) se soit senti heurté ou apeuré et qu’il annule la rencontre suivante. Et, pour rendre les choses encore plus complexes, c’est possible qu’il n’ait pas envie de venir à sa rencontre et l’annule, sans même savoir précisément pourquoi, prétextant un conflit d’horaire. Imaginez comment ce ne serait pas thérapeutique dans ce contexte d’user de fermeté pour préserver le cadre. Cela pourrait être vécu comme une obligation, une contrainte et une soumission pour ce client(e). À l’opposé, un(e) client(e) qui cherche le réconfort et la réassurance de manière anxieuse peut me paraître menaçant(e), ce à quoi je peux répondre par une certaine distance ou à l’inverse, par une activation à « donner des outils ». Ce genre de dynamique peut ensuite entraîner une diminution de la motivation à venir consulter, parce que « ça n’aide pas » et donner lieu à des annulations répétées. Comme ces mouvements relationnels sont souvent implicites et inconscients, il n’est pas évident de les aborder - pour le thérapeute comme pour le client - si ce n’est qu'ils passent parfois sous le radar, ils sont aussi délicats à aborder directement parce que ce n’est jamais facile d’aborder l’état de la relation thérapeute-client, ça peut être gênant, menaçant… On peut donc résumer tout ça en se disant qu’il y a des situations où le cadre est menacé par des facteurs externes ou contextuels dans lesquels nous sommes imbriqués, client comme thérapeute et sur lesquels nous avons souvent peu de contrôle (les obligations professionnelles, etc.), mais qu’il y a des situations où le cadre est « menacé » par une répétition d’enjeux co-transférentiels qui peuvent être difficiles à identifier, comprendre et donc à « travailler ». C’est là que nous avons souvent besoin, comme thérapeute, de nous donner ou rétablir notre propre espace pour mieux réfléchir à ce qui se passe, dans la relation à tel ou tel client qui annule ses rdv. Nous avons alors besoin de prendre du recul et se repasser en imagination les échanges relationnels avec une lunette externe, si une telle chose est possible (un peu comme si on était un oiseau ou un spectateur qui regarde un film - le film de l’échange de la dernière rencontre avec un client par exemple). On peut aller en supervision, on peut utiliser des outils d’auto-supervision (filmer ou enregistrer les rencontres si notre mémoire fait défaut pour ce genre d’informations) pour nous aider à nous « voir » différemment et nous remettre en question aussi, si nécessaire. En ce sens, la « deliberate practice » proposée par Rousmaniere dans son livre Deliberate practice for psychotherapists - a guide to improve Clinical effectiveness (2017) est intéressante. Il propose une méthode d’apprentissage, basé sur ce que font les athlètes et musiciens, pour rendre ces situations d’impasse plus conscientes et donc solubles pour le thérapeute et son client. Mais ai-je le droit d’être « écoeuré » par ces demandes qui « m’empêchent » de faire mon travail? Oui absolument! C’est drainant, c’est fatigant et ça donne parfois cette impression qu’on perd beaucoup de temps avant de « travailler réellement ». Or, tout dépendant où ça se place et se vit dans un processus de thérapie (le client qui se met soudainement à annuler des rdv alors qu’il était au préalable engagé et constant ne nous sollicitera pas de la même manière que lorsque cela se produit en début de suivi), ça fait bel et bien partie de notre travail. Faut parfois travailler fort dans les coins avant que le jeu devienne fluide et qu’on puisse marquer des points! En vous laissant sur cette petite phrase réconfortante : si vous éprouvez des difficultés à garder un cadre régulier et stable avec vos clients, ne pensez pas que vous êtes incompétents (ce qui ne veut pas dire d’écarter toute réflexion sur des aspects qui se seraient vécus difficilement pour le client par exemple), pensez plutôt que c’est justement parce que vous faites votre travail… attardez-vous à ce qui vient faire embûche au processus avant de penser trop vite à ce que vous devez faire pour rétablir le cadre. Vous apprendrez alors davantage des processus que vous faites avec les clients et les réponses viendront alors plus naturellement à savoir comment vous voudrez rétablir l’espace thérapeutique avec chacun d’eux. Référence : Rousmaniere, T. (2017). Deliberate practice for psychotherapists - a guide to improving clinical effectiveness, Routledge, 220 p.
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Auteurscollaboration spéciale Archives
Juin 2022
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