Par Marie Noël, psychologue clinicienneLe recul des dernières semaines a permis une autre forme de connexion, le contexte des vacances permettant souvent de se « brancher » autrement sur soi et sur le monde qui nous entoure. J’ai donc, comme à chaque année, pu marcher et contempler la nature sous plusieurs formes, la mer, les plages, la forêt, les arbres et les champs…. Normalement, ces paysages divers m’aident aussi à « me sentir », à visiter de nouveau mes idées, mes sentiments, mes émotions…. Cet été, il s’est passé quelque chose de différent. Nous avons tous été témoins, de près ou de loin, des records de chaleur mondiaux enregistrés…
Je n’ai pas contemplé les paysages de la même façon, et me pencher sur « l’intérieur » m’a paru tout autant futile qu’inquiétant, comme si « me pencher sur moi » était devenu « m’épancher ». À quoi bon réfléchir à quel cadre accrocher sur tel mur quand la maison brûle? Et l’angoisse s’est pointée le bout du nez : « à quoi bon faire ce travail de psychologue si c’est l’humanité entière qui court à sa perte? » Et de manière plus constructive : « de quelle genre de connexion ou de contact l’humanité a-t-elle besoin (autant collectivement qu’un individu à la fois), pour vivre et survivre à travers les périodes difficiles qui s’annoncent? » J’ai vu passer sur mon fil FB (merci à ma chère collègue Marilyne Thériault) une citation éloquente qui allait comme suit : « We scientists don’t know how to do that I used to think the top environmental problems were biodiversity loss, ecosystem collapse and climate change. I thought that with 30 years of good science we could address those problems. But I was wrong. The top environmental problems are selfishness, greed and apathy… … and to deal with those we need a spiritual and cultural transformation and we scientists don’t know how to do that. »Signé Gus Speth, avocat spécialisé en environnement Et en quelques phrases je retrouvais le sens de notre travail qui ne vise pas uniquement à aider les gens à « se sentir » individuellement mais à « sentir » ce qui se passe, autant en eux qu’à l’extérieur d’eux. Nous vivons à une époque où, plus que jamais, les frontières entre le monde et le soi doivent être tout autant solides (et non rigides) que poreuses. Nous devons nous sentir assez différenciés pour sentir notre pouvoir distinct d’agir mais aussi assez sensibles au monde et aux gens qui nous entourent pour sortir de l’apathie et retrouver le sens de la communauté. Ça peut paraître fort à écrire, mais notre survie en dépend. À cet effet, Donna Orange, philosophe et psychanalyste, a écrit il y a quelques années déjà un livre intitulé Climat crisis, psychoanalysis, and radical ethics qui traite de l’influence de la culture du droit individuel sur la crise climatique et humanitaire qui nous rattrape et des mécanismes que nous avons appris à utiliser pour ne pas nous en occuper (voir référence plus bas). Si vous manquez de temps pour la lecture, vous pouvez entendre une allocution d’une heure qu’elle a donnée pour le Interdisciplinary Humanities Center de l’Université de Santa Barbara en Californie et qui s’intitule Donna Orange: My other’s keeper : radical ethics and visions of community (https://soundcloud.com/ihc-ucsb/donna-orange-my-others-keeper-radical-ethics-and-visions-of-community). Le 11 août 2019 dans La presse, Patrick Lagacé signait un article sur l’écoanxiété (nouveau terme pour définir l’anxiété que certaines personnes peuvent ressentir face à l’impuissance et la frustration associées à la difficulté à faire avancer les choses en terme de climat et de changements climatiques - mais de grâce! ne trouvons pas une autre catégorie diagnostique qui nous éloignerait encore une fois de notre responsabilité individuelle et collective!) - pour lire l’article : https://www.lapresse.ca/actualites/201908/10/01-5236989-avec-amour-et-rage.php. Dans ce très bon article, Geneviève Dorval, une anthropologue, parle de la nécessité d’actions individuelles publiques pour faire avancer les choses. Il n’est plus seulement temps de faire des changements individuels plus responsables, il est aussi temps de s’impliquer ou s’engager publiquement pour faire changer les choses. C’est là que je trouve notre rôle de psychologue des plus pertinents. Par notre travail, nous pouvons nous questionner sur le genre de pratiques que nous favorisons, à la fois dans nos bureaux mais aussi dans les médias. Nous vivons à une drôle d’époque où la méditation pleine conscience et les autres formes de contact à soi sont encouragées mais glissent souvent dans une optique « égocentrée » ou comme « technique de bien-être ». Or, il n’existe pas de réelle connexion à soi sans connexion à l’autre et au monde… Et le bien-être est quelque chose d’abstrait, non permanent ou volontaire, qui émane naturellement quand on a retrouvé une forme authentique de contact et de connexion. Il s’accompagne aussi d’un sentiment de reprise de pouvoir sur notre existence (self-agency) et d’un sentiment de responsabilité face à l’humanité. Nous sommes tous dans le même bateau en matière de climat et d’environnement. Et si notre rôle de psychologue, qui accompagne les gens individuellement, était d’être une sorte de « courroie de transmission » qui aide à ressentir et ré-humaniser, une personne à la fois? Loin de moi l’idée de dire que nous devons « prêcher » ou influencer… mais la nature de notre travail appelle à aider les gens à retrouver une forme de conscience parfois perdue, pour eux-mêmes d’abord mais qui affectera possiblement plus grandement les systèmes dans lesquels ils évoluent. Et c’est là peut-être que notre impact dépasse celui de la transformation individuelle et devient systémique pour ne pas dire « public ». ________________________________________________________ Petit ajout pertinent : J’ai écrit ce texte dans la semaine du 18 août. Le 29 août, nous recevions un sondage de l’OPQ sur l’éco-anxiété, puisque les journalistes s’intéressent à notre expertise et nos avis professionnels sur ce nouveau phénomène qui nous préoccupent tous. Je serais curieuse de vous entendre (ou vous lire!) sur cette préoccupation et la forme qu’elle prend dans votre travail! N’hésitez pas à commenter! Référence : 1. Orange, D. (2017). Climate crisis, psychoanalysis, and radical ethics. Routledge, 164 p.
4 Commentaires
Jean-Pierre Marceau
9/4/2019 04:59:49
Salut Marie,
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Marie
9/4/2019 09:01:48
Merci Jean-Pierre pour ton commentaire et le partage de ce lien vraiment intéressant et pertinent! De plus en plus de gens se préoccupent de la crise du climat et prennent action et ça fait du bien de voir ça! Mais on commence aussi, dans nos bureaux, à être témoins de la souffrance que cette crise commence à générer, et ce n'est que la pointe de l'iceberg je crois..
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Marie-Line Carmel
9/7/2019 04:53:15
J'aime cette idée de nous concevoir comme une "courroie de transmission" pour réhumaniser, une personne à la fois. Continuons de valoriser la relation thérapeutique comme principal outil de changement. Soyons authentiques, empathiques et disponibles. Notre travail est une vocation! Merci pour ce texte qui le valorise et en offre une perspective plus large.
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Marie
9/12/2019 12:58:14
Merci Marilyne pour ton commentaire! Je pense aussi que notre travail est plus qu'un "travail", comme une vocation parce qu'il est tout un engagement pour notre prochain qui souffre. Avec les crises climatiques que nous connaîtrons, nous serons, je crois, de plus en plus sollicités..! À bientôt!!
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