Par Marie Noël, psychologue clinicienneIl y a un bout de temps que je n’ai pas écrit pour le blogue… Je ne sais pas si ce recul explique ma panne d’idées, comme l’eau qui manque au moulin pour qu’il tourne. Par ailleurs, je constate cette même panne pour plusieurs autres projets qui, d’habitude, me tiennent bien agréablement occupée. Cette lassitude généralisée habite plusieurs de mes clients.tes également, une « fatigue pandémique » peut-être, d’avoir dû nous adapter à cette nouvelle réalité et pour laquelle le repos des vacances d’été n’a pas été suffisant cette année. La rentrée comporte son lot de défis et de stress aussi pour les familles, sans compter l’annonce du passage en zone rouge et ses implications. Nous voguerons dans cette incertitude encore pour quelques mois et années, appréhendant les chiffres quotidiens recensant les cas de covid, s’inquiétant de la 2ème vague. « Pourvu qu’elle ne soit pas trop grosse. Trop catastrophique, encore… » « Pourvu que nous tenions le coup, que nous parvenions à la contenir le plus possible ».
Parfois j’ai la fantaisie de penser un monde où nous n’aurions pas eu peur de la covid, du moins pas de la même façon. Où nous aurions pris les mesures nécessaires, bien au devant de la crise, où nous aurions écouté les scientifiques nous parler des pandémies anticipées, des dangers écologiques, des mesures à mettre en place dans nos systèmes, etc. Parfois, j’ai la fantaisie de penser que nous aurions « construit l’avion avant qu’il n’ait à voler », pour reprendre autrement l’expression utilisée par le premier ministre. Pourquoi avons-nous fait l’autruche, alors que des données existaient et les hommes de science aussi pour nous les expliquer? Je pourrais critiquer le fait que nous n’accordons pas suffisamment de place à une certaine science dans nos décisions politiques et nos façons de fonctionner, que nous nous déresponsabilisons tous de plus en plus, au fil des décennies, mais mon but en écrivant ce billet est surtout de mieux comprendre la place que l’on donne (et ne donne pas) à la science dans nos sociétés. Et un peu ensuite de le critiquer! Je suis tombée sur cet article du Devoir, le samedi 12 septembre intitulé « Un manque de plaisir dans la vérité scientifique » (https://www.ledevoir.com/societe/science/585841/entretien-la-verite-en-panne-de-plaisir), un entretien avec Étienne Klein, physicien et philosophe des sciences qui vient de faire paraître un essai (Klein, Étienne. Le goût du vrai. Editions Gallimard, 56 p.), où est discutée la place de la science en ces temps de pandémie et dans nos civilisations post-modernes. J’ai ensuite poussé mes recherches un peu plus loin en lisant l’essai en question et en allant visionner quelques capsules fort intéressantes sur le site web d’Étienne Klein (https://etienneklein.fr/), vulgarisateur scientifique que je découvre à ce jour. Je résume ici quelques idées qui sont les siennes et que je me suis également appropriées. J’essaie également ici de comprendre autrement, de manière plus large, la fatigue et la lassitude qui m’envahissent souvent ces jours-ci. À prime abord, en constatant les avancées technologiques de notre monde actuel et leur vitesse grand V et, dans notre univers de la psychologie, l’accent mis sur « les bonnes pratiques » basées sur les données probantes, nous pourrions penser que la science dicte nos façons de fonctionner et qu’elle prend plus que jamais une place importante dans nos décisions et façons d’organiser notre monde. Or, face à cet état des choses, nous sommes plusieurs à nous sentir souvent dépassés par ce rythme d’essor effréné (pensons au titre du livre de Léa Stréliski « la vie n’est pas une course » "https://www.quebec-amerique.com/livres/litterature/hors-collection/la-vie-nest-pas-une-course-10244) et à nous opposer aux dogmatismes et à une utilisation perverse de la science au profit de la productivité et du marketing, qui ne fait pas exception dans le domaine de la psychologie. Étienne Klein nous rappelle que la science de Descartes, celle du siècle des Lumières, développait une méthodologie dont le but était de nous sortir d’un certain obscurantisme, où les charlatans et dogmatiques dominaient l’univers de la connaissance. À cette époque, la science venait s’inscrire dans un projet de société, qui répondait à un besoin partagé de tous (ou presque) de s’élever d’une noirceur souffrante. M. Klein constate que la science d’aujourd’hui ne constitue plus ce genre de réponse, mais qu’elle semble précéder les besoins des individus et des sociétés et les engager dans une course à l’innovation. Il explique qu’il ne semble plus y avoir de « projet commun » autour de cette recherche de connaissance et de « vérité » (je mets ce terme entre guillemets, puisque la recherche de vérité ne veut pas dire qu’il existe UNE vérité - comme une certitude - mais que la découverte s’alimente de cette quête du Savoir avec un grand « S ») , autour de ce plaisir de comprendre l’humain et le monde parfois mystérieux qui l’entoure. Devant cette absence de projet commun, un fossé se creuse entre le monde des « scientifiques » et celui de la « civilisation », et s’érige à nouveau un espace où tout un chacun peut y aller de ses croyances, de sa propre théorie et où reviennent les risques associés à la pensée dogmatique, même au coeur du monde scientifique, parfois dominé par des intérêts économiques. Les temps de crise deviennent des occasions de jeter la lumière sur les réels besoins de nos sociétés et des individus et espèces qui en font partie et, espérons-le, d’enrichir nos méthodes de connaissance et de développement. Et, c’est l’occasion de remettre la science au service de l’Humanité. De repenser à la place que l’on fait à nos sciences, pures et humaines, et à nos façons de les enseigner, de les diffuser et de les utiliser. De façon personnelle, j’ose penser que ma fatigue (et celle de mes clients.tes) et ma panne d’inspiration tiennent non seulement à la conséquence normale de notre adaptation à cette nouvelle réalité, mais aussi à la déception de celle qui constate les dégâts qu’ont causé nos systèmes économiques/politiques et qui continue de les anticiper pour les années à venir. Je n’ai pas la prétention de penser que nous aurions pu éviter ce qui se passe actuellement, mais je me risque à penser que notre façon de nous y être si peu ou mal préparés collectivement et de nous être retrouvés coincés dans ces systèmes de fonctionnement contribue à nos souffrances actuelles. Peut-être que l’heure des premières remises en question « post-pandémiques » (même si nous n’en sommes pas encore sortis) approche et qu’un examen de conscience collectif constructif saurait me (nous) redonner l’énergie dont nous avons besoin pour poursuivre ce combat contre la covid? C’est peut-être aussi par cet examen de conscience collectif que nous parviendrons à retrouver et nous réconcilier avec le véritable fondement de la science, celui de vouloir comprendre, avec un effort de rationalité, de quoi le monde est fait sans pour autant chercher à le dominer? Qu’en pensez-vous? Références : 1. Klein, Étienne (2020). Le goût du vrai. Editions Gallimard. 56 p. 2. Riopel, Alexis (12 septembre 2020). Un manque de plaisir dans la vérité scientifique. Article publié dans Le Devoir. 3. Site web d’Étienne Klein : https://etienneklein.fr/ 4. Stréliski, Léa (2019). La vie n’est pas une course. Québec Amérique, 120 p.
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Juin 2022
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