écrit par Marie Noël, psychologueL’été nous a permis d’espérer la reprise de la vie normale et de voir l’éclaircie à travers les nuages. Puis, avec l’annonce du retour en présentiel dans les établissements scolaires et les entreprises (qui a été de nouveau repoussé finalement), est venu le souffle, comme une promesse, du retour à la réalité de l’avant-pandémie.
Même si nous savons maintenant comme une certitude viscérale que rien ne sera plus comme avant, ne serait-ce que dans notre rapport à ce monde, que nous prenions beaucoup trop pour acquis dans cette partie de la terre où nous sommes privilégiés. J’ai vu passer cet article d’opinion écrit par Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue, et publié dans Le Devoir; un plaidoyer contre le retour « à la normale » (pour lire le texte : https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/623802/libre-opinion-plaidoyer-pour-un-non-retour-a-la-normale), cette normalité malsaine et épuisante d’un système économique dans lequel nous étouffons, qui nous pousse à travailler toujours plus et efficacement, à un rythme effréné et dans des conditions souvent peu adaptées à nos besoins. Nombreuses sont les personnes dans notre clientèle qui se sont accommodées du télé-travail et qui y trouvent plus de facilité à maintenir une hygiène de vie satisfaisante. Elles parviennent enfin à appliquer ce que les psychologues et médecins recommandent depuis des années; à prendre des pauses, à avoir le temps de faire de l’exercice ou de méditer, de cuisiner, de faire quelques tâches ménagères qui les libèrent ensuite de ce temps dans la soirée, etc. Quand j’ai commencé à travailler comme psychologue il y a plus de 15 ans maintenant, je me souviens avoir travaillé la reconnaissance et le positionnement des limites avec certains clients, peut-être 1 ou 2 sur 6-7 clients à l’époque. C’est maintenant un thème que j’aborde avec presque tous mes clients à l’époque actuelle et dans les dernières années. Ce qui m’apparaissait au départ davantage comme des difficultés personnelles dans l’affirmation de soi par exemple, je le considère aujourd’hui plus largement comme un mal de notre époque, un mal qui s’est accentué dans la dernière décennie, avec la mondialisation et les innovations technologiques entre autres. Nous avons de plus en plus de mal à nous donner les espaces nécessaires pour « être », contempler, nous reposer, réfléchir, sentir… Et donc, je suis bien d’accord avec ce plaidoyer pour ce retour à l’essentiel plutôt qu’ « à la normale ». Mais ça m’a aussi fait penser au livre « Faire les sucres » de Fanny Britt- une lecture qui se fait presque d’un trait, où l’écrivaine nous transporte dans un quotidien connu, tout en mettant de l’avant de manière subtile et non-moralisatrice, le drame parfois absurde, mais tout autant souffrant, de nos vies de personnes privilégiées, souvent déconnectées de multiples façons du sens de la vie qui peut se présenter à nous quand on doit y prendre part devant ses défis fondamentaux (p.ex., la maladie, la précarité, etc.). La même journée où j’ai lu ce plaidoyer dans Le Devoir, je suis allée me promener dans un quartier de Montréal que je n’avais jamais visité : Rivière-des-Prairies. J’ai longé le boulevard Perras jusqu’à la 25 pour le chemin du retour. C’était la canicule. J’ai pensé que les enfants sur les balcons et le béton, leurs parents et ces gens d’ici et venus d’ailleurs, qui s’attroupaient, entassés, avaient peut-être, eux, l’espérance du retour « à la normale ». Devant le manque d’options pour une vie paisible où il existe des « espaces », il n’y a souvent que le salut de la productivité économique pour s’en sortir… du moins, il me semble. Je pense aussi à mes collègues, plus jeunes que moi, souhaitant s’acheter un foyer dans une ville devenue inaccessible aux premiers acheteurs, à moins de gagner plus de 150 000$ par année (et encore!)… aux artistes autour de moi qui ne parviennent plus à rêver et créer sans penser à monnayer leurs oeuvres, ce marchandage devenu inévitable au risque que ce soit moins intéressant… je pense à cette plus jeune version de moi-même, étudiante, qui ramait pour joindre les deux bouts au risque d’y perdre ma santé. Et à ma réalité d’aujourd’hui de mère de famille qui a du mal à prendre les semaines de congé nécessaires à ma santé sans craindre de trop m’endetter. En psychologie du travail, il existe une théorie (la théorie de Hobfoll, 1989) selon laquelle l’humain cherche à préserver ses ressources et trouvera un travail moins stressant, plus satisfaisant et motivant, si celui-ci lui permet de les préserver et encore mieux, de les faire grandir. Logiquement, un travail qui nous fait plus perdre que gagner des ressources (quelles qu’elles soient, c’est-à-dire, physiques, émotionnelles, relationnelles, financières, etc.) sera source de stress et pourra occasionner des problèmes de santé (Alderson, 2004). Il est donc logique que nous voulions ralentir ce rythme effréné, revoir les conditions de travail qui nuisent à cette conservation de ressources, surtout quand le résultat est sensiblement le même au final, que les objectifs du travail sont atteints. Mais qu’en est-il quand une personne a trop peu de ressources? Il m’apparaît que la plupart d’entre nous, dans cette situation, va redoubler d’efforts pour se construire une vie meilleure. Elle est là toute la tension, le dilemme, encore une fois, entre le mode « survie » et le mode « vie », entre ce qui est bon pour nous et à quel moment… Quand on est coincé, il n’y a donc pas beaucoup d’options que celle qui va, au final, nourrir ce rythme effréné à nouveau et aller à l’encontre de ce qui serait meilleur pour notre santé et notre bien-être, plus largement. C’est à ça qu’il faut aussi penser maintenant si nous ne voulons pas d’un retour « à la normale ». Pour ne pas reprendre ce rythme qui ne nous sied plus, pour ralentir enfin pour vrai, il faut aussi penser aux ressources à fournir à ceux qui en ont moins. Je ne fais pas dans le politique. Plusieurs chemins existent peu importe notre allégeance et nos valeurs, pour y arriver. Je laisse le soin aux personnes qualifiées de penser leur plan de reprise en espérant tout de même qu’elles viseront un certain équilibre entre nantis et moins bien nantis. Qu’il y aura un projet de société qui permettra de réinvestir le communautaire, le public, le social, le culturel, l’humain et ouvrir réellement les options à tous, pour tous. Revoir les conditions essentielles, qui se sont raréfiées sournoisement dans les dernières décennies, ces conditions essentielles dans lesquelles nous pouvons évoluer comme humain. De cette façon, nous pourrons espérer vivre mieux. Revenir à la vie. Et recommencer à rêver. Je nous souhaite un automne de reprise de contacts sous de nouvelles mesures et conditions, d’activités collectives où nous retrouverons ensemble un équilibre sain! Pour Espace Intégratif, ça s’annonce bien, avec des formations à l’automne, à l’hiver et au printemps, en présentiel surtout. Et de nouveaux projets dans l’air qui espérons-le, pourront se concrétiser. Au plaisir de vous retrouver dans l’une ou l’autre de nos activités! Références :
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Juin 2022
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