Par Marie Noël, psychologue clinicienneEspace Intégratif est « lancé ». La réponse est positive, de l’intérêt à l’excitation pour ces projets et activités à venir, en passant par la découverte du blogue et de ses textes que j’ai publiés, suscitant (dans le privé pour le moment) toutes sortes de réactions, de la curiosité à l’incrédulité! Les textes pour les jeunes professionnels semblent ceux qui « résonnent » le plus, probablement parce qu’ils viennent répondre à un besoin plus important de soutien et d’appartenance en début de pratique, alors que les anxiétés et doutes peuvent être parfois si douloureux et étouffants.
Mais Espace Intégratif est aussi un projet qui s’inscrit dans quelque chose de totalement « nouveau », surtout dans notre milieu qu’est la psychologie et sa pratique de la psychothérapie. C’est un espace réflexif et créatif (ce qui ne le rend pas moins rigoureux par ailleurs!) qui cherche à décloisonner, tant au niveau des modèles et approches d’intervention, qu’au niveau des intérêts que l’on peut entretenir comme thérapeute, pour nous « humaniser » dans notre travail, nous aider à nous développer en tant que personne et professionnel qui aide d’autres personnes. En ce sens, il est autant vitalisant que déstabilisant. On définit souvent ce qui est créatif comme novateur, original, parfois même dérangeant, faisant rupture en quelque sorte avec ce qui était préalablement établi. La créativité est souvent associée au domaine artistique, mais elle a sa place dans tous les domaines. La science, par exemple, est créative. C’est par la créativité que nous faisons des découvertes, que nous avançons et nous développons. Sans créativité, nous répétons les mêmes actions, prenons les mêmes chemins, dans un monde qui devient prévisible et éventuellement rigide, trop ordonné. Par ailleurs, plonger dans un espace ou un monde créatif peut être étourdissant. Sans repères, on cherche l’ordre et le fil à suivre pour comprendre ce qui est proposé. J’ai eu ce soucis dernièrement en pensant à mes articles de blogue… Comme mes textes sont écrits comme défile ma pensée, mon écriture vivante et pressée peut être désarçonnante. J’ai eu envie alors de donner quelques repères et d’organiser les choses avant de laisser le blogue pour l’été… De vous donner aussi le goût d’explorer votre propre créativité dans les prochains mois qui seront peut-être plus calmes avec les vacances estivales. Pour ce faire, j’ai visionné le très bon documentaire The creative brain du Dr. David Eagleman (disponible sur Netflix). J’ai aussi lu différents articles sur le sujet de la créativité. En voici un résumé, organisé par points! 1. Contrairement aux animaux, il existe chez tous les humains un potentiel créatif Comme notre cerveau a pris de l’expansion au fil de l’évolution, il s’est développé de la place pour plus de connexions neuronales entre les zones d’input et d’output. Ainsi, contrairement aux animaux, nous pouvons recourir à un espace de réflexion entre le stimulus et la réponse, ce qui est le terreau de la créativité. Notre cerveau traite sans cesse toutes sortes de données : sensations, émotions, perceptions… Et c’est notre cortex pré-frontal qui organise le tout, l’analyse, réfléchit, planifie. On peut facilement imaginer que les idées créatives émergent de ces allers-retours et connexions neuronales entre les différentes zones cérébrales activées - les zones qui « captent et perçoivent » et les zones qui « traitent et organisent ». Mais, que se passe-t-il plus précisément dans le cerveau créatif? Il semblerait qu’il y ait, dans les cerveaux habitués à créer, plus de connectivité entre ces différentes zones, qui autrement « travailleraient » plus séparément. Cela permettrait donc d’être rêveur et méthodique à la fois! (Beaty et al, 2018). On pourrait classifier ces deux modes de pensées (la rêverie vs l’organisation) comme la pensée divergente et la pensée convergente. « La pensée divergente est un processus mental permettant de produire un grand nombre de propositions à partir d’une situation donnée. Ce qui implique la capacité à associer des mots, des idées, dérivant d’un seul stimulus. Ce serait la phase initiale du processus créatif. La pensée convergente est un processus mental permettant d’organiser les idées ou les concepts dans un mode d’expression spécifique. Ce qui implique l’aptitude à sélectionner les idées appropriées au contexte, à les structurer en un tout original et cohérent. Tout individu n’utilise pas ces composantes du processus créatif de la même manière. Mais chacun alterne entre exploration et intégration pour avoir une idée originale » (De Montalembert, M. & Besançon, M., 2015). En lisant ces lignes, vous comprendrez que la danse plus ou moins fluide entre ces deux modes de pensées peut s’illustrer dans les textes publiés dans le blogue! L’avantage du blogue est qu’il est un espace de créativité et d’apprentissage de ces mécanismes qui, au fil du temps, se peaufineront sûrement! Avis aux auteurs potentiels qui voudraient aussi se mouiller, c’est totalement permis de se laisser aller à la danse avant de penser qu’il faut danser parfaitement! 2. Chaque cerveau est unique et produira donc quelque chose de différent On a longtemps pensé que la créativité et la découverte venait d’un éclair de génie, comme une information qui tombe du ciel… Eureka! Un beau jour ensoleillé au 17ème siècle, Isaac Newton est assis au pied d’un pommier. Une pomme tombe au sol, ce qui l’amène à réfléchir à la question de la gravité et à élaborer la loi de la gravitation universelle (Quebec science, 2014). Ce que l’histoire romancée ne nous dit pas, c’est que Newton a fait plusieurs autres découvertes fondamentales avant de développer cette loi et qu’il s’est aussi inspiré des lois et travaux de ses prédécesseurs et collègues (Kepler, Bacon, Hooke…) pour y arriver (lire l’histoire de la découverte de la loi gravitationnelle sur Wikipédia). Ainsi, la créativité ne consiste pas à inventer quelque chose à partir de rien… mais plutôt de parvenir à lier ou réunir des idées et des choses déjà existantes dans notre environnement en une nouvelle forme, une nouvelle configuration. Il suffit donc de porter attention au monde qui nous entoure et à ce qu'il vient éveiller en nous-mêmes. Pour stimuler son potentiel créatif : 3. Aller consciemment à l’encontre du comportement automatique et confortable Est-ce que cela vous fait penser à la tolérance à l’ambiguïté ou l’incertitude pour favoriser le changement de comportement? En fait, notre besoin de sécurité et les réponses à nos besoins de base nous façonnent à cette habitude de prendre le chemin le plus simple pour survivre et vivre. Or, la créativité et le développement passent par de nouveaux chemins à emprunter. Il faut donc faire l’effort conscient de nous casser la tête, de penser et d’agir autrement pour que « la magie s’opère ». 4. Apprendre une nouvelle habileté et faire attention à la sur-spécialisation Non seulement sortir de nos habitudes peut nous apprendre une multitude de nouvelles habiletés, ça peut aussi nous aider à ressentir de nouvelles choses et à penser autrement. Il ne s’agit pas d’éloigner l’expertise, qui est tellement importante pour développer des savoirs et savoir-faires de pointe, mais les experts nous le diront aussi : faire le tour des données déjà compilées et des théories et découvertes déjà faites ne nous amènera nulle part de nouveau. La nouveauté et la stimulation permettent ensuite à l’expert spécialisé d’être créatif et d’aller plus loin encore dans ce qu’il développe. 5. Tolérer la possibilité de l’échec et le sentiment de honte Penser de manière créative demande un relâchement des inhibitions habituelles, qui viennent avec le comportements automatique décrit ci-dessus et le fonctionnement « trop efficace » de notre cortex pré-frontal. Ça prend un certain « relâchement des règles » pour avoir des idées nouvelles et novatrices. En se rendant plus flexible, on peut aussi sûrement se rendre plus vulnérable. C’est là que des phrases comme « c’est pas bon ce que j’écris » ou bien « c’est laid ce que je dessine » arrivent. Pire encore « Mais qui suis-je pour oser penser que les gens trouveront ça intéressant? » Etc…. C’est la honte ou la peur d’être humilié qui s’activent en soi de manière parfois si puissante que nous retrouverons ensuite notre inhibition protectrice. Mais pour bons nombres de créateurs, ce sentiment de honte est le signe qu’ils sont « à la bonne place » quand ils créent, aussi souffrant cela doit être. Ce qui sera ensuite produit et dans le meilleur des cas, montré, se confrontera aux règles établies. Si la création en question dépasse les règles un peu (mais pas trop), ce sera un succès. Si la création confronte les conventions de façon trop violente ou inconfortable, il se pourrait qu’elle se solde en échec. Du moins pour l’époque (combien d’artistes ont été reconnus de façon posthume)… Alors, quel attrait peut avoir l’acte créatif s’il peut être inconfortable, voire même parfois douloureux et aboutir sur un échec? Il a l’avantage de nous plonger dans le présent, de stimuler nos capacités attentionnelles et de résolution de problèmes, d’élargir nos possibilités de ressentir et notre conscience réflexive, de rendre notre expérience plus riche quoi! Il nous fait découvrir des parties de notre existence, de notre expérience et de celles des autres et du monde qui nous entoure. En ce sens, tout acte créatif est un succès à mon avis! Sur ces belles paroles, je vous souhaite un été plein de créativité, de découvertes, de détente et de moments présents savourés seul ou accompagné. Au plaisir de vous retrouver en automne avec le lancement des activités d’Espace Intégratif (enfin!) et de vous rencontrer en personne le 16 novembre prochain! Références : 1. Sébastien Bohler dans Cerveau et psycho, N° 97 - Mars 2018 (Résumé de R. Beaty et al., Robust prediction of individual creative ability from brain functional connectivity, PNAS, édition en ligne du 16 janvier 2018). 2. Marie de Montalembert et Maud Besançon, 2015. Le cerveau créatif, L’Essentiel n° 22 / Mai - Juillet 2015.
0 Commentaires
Laisser un réponse. |
Auteurscollaboration spéciale Archives
Juin 2022
|