Vouloir aider son prochain qui souffre est souvent la motivation consciente principale évoquée par les étudiants en psychologie aspirant devenir de futurs psychologues. Sur les bancs d’école, on s’imagine parfois le travail typique du psychologue clinicien comme celui qui reçoit à son bureau privé les clients/patients désireux de se sentir mieux, d’être traités pour des symptômes incapacitants, etc. On s’imagine le thérapeute que nous serons comme celui qui offrira soins et traitements validés empiriquement qui s’avéreront efficaces et guideront avec succès les clients/patients vers leur mieux-être. Quand nous expérimentons enfin de quoi il en retourne, par nos stages et internats, nous constatons que la tâche est beaucoup plus complexe et ardue qu’elle peut ne le paraître à prime abord et que le chemin vers le mieux-être et le succès est beaucoup plus sinueux. Le choc du début de pratique autonome peut également être brutal de multiples façons, quand nous nous retrouvons davantage seuls face à nos clients/patients, à leur souffrance et parfois aussi à la nôtre. Et il n’est alors pas chose rare de se demander à quoi nous avons pensé de choisir cette profession alors que nous pouvions nous tourner vers des perspectives plus lumineuses, plus simples aussi. Sommes-nous masochistes? Avons-nous été aveuglés par cette belle promesse de pouvoir guérir et traiter, celle qui nous a motivé au départ dans notre choix de profession? Avons-nous si peu porté attention à nos motivations sous-jacentes, celles par exemple de penser que nous avions du pouvoir sur la détresse et la souffrance de nos proches? Que si nous étudions les recettes et mécanismes impliqués dans la santé psychique, nous pourrions alors réparer les blessures et souffrances des êtres aimés (et/ou les nôtres) et nous réparer le sentiment d’impuissance chèrement payé? Tant de questions qui peuvent habiter le psychologue et psychothérapeute en début de pratique et qui sont parfois taboues, pour les êtres qui souvent repoussent leur propre vulnérabilité que nous sommes.
Au début de ma pratique de psychologue, j’ai travaillé pour un OBNL qui venait en aide aux gens souffrant d’anxiété et de dépression. Pour me faire connaître, la directrice de ce groupe m’avait proposé de présenter un court exposé sur le développement des troubles anxieux lors des groupes de soutien, donnés en soirée dans différentes municipalités de la Rive-Sud de Montréal. Ça a été mon bain professionnel dans une dure réalité. Côtoyer des gens souffrants qui n’ont pas les moyens de consulter en privé et qui font la file d’attente au public qui se trouvent enfin devant une personne-ressource… Durant ces soirées, je sentais l’urgence des situations de détresse, de ces gens, enfin devant une psychologue, à qui ils pourraient obtenir réponses à leurs questions et leurs souffrances multiples. J’en ressortais soir après soir avec un sentiment d’impuissance, de désillusion et de fatigue intense. Un soir lors d’un groupe de soutien, une dame m’a posé cette question, gravée dans ma mémoire, comme un passage dans mon début de carrière. Elle m’a demandé : « Mais pourquoi es-tu devenue psychologue? C’est un travail tellement difficile alors que tu avais d’autres options devant toi? Pourquoi as-tu choisi ça? » Cette dame était une infirmière en épuisement… elle savait de quoi elle parlait. Et ma réponse, du tact au tact, sans que je n’y réfléchisse, marquée elle aussi dans ma mémoire : « Je n’ai pas choisi d’être psychologue. Ça ne s’est pas présenté comme un choix mais une évidence. Mais il faudra bien que je choisisse si c’est ce que je veux faire vraiment ». Et je suis repartie ce soir-là, pensive, un peu « sonnée », en me disant que je n’avais pas encore fait le véritable choix d’exercer cette profession. Être psychologue clinicien ou psychothérapeute est plus que difficile parfois, c’est douloureux. Et le fait de ce « non-choix » contribuait à son tour à ce sentiment d’être « prise » là où je voulais me déprendre. Je constatai alors que je répétais quelque chose de souffrant dans mon histoire sans pouvoir là tout de suite, faire autrement. Tel un guérisseur blessé, je cherchais une voie vers mon mieux-être en revisitant sans cesse ce qui me faisait souffrir, ce rôle que j’avais pris et prenais encore, et que je m’engageais de prendre encore et encore. Sans à cet instant, voir de lumière au bout du tunnel. Inutile de vous dire que cette période a été difficile dans ma vie personnelle et professionnelle. Et je choisis de l’exposer sans trop de pudeur dans ce témoignage parce que je reconnais parfois une réalité similaire chez les psychologues et psychothérapeutes en début de pratique que je côtoie et qui souffrent souvent derrière un masque du « bon professionnel solide et supposé savoir». Avant l’existence de la psychologie, les « intervenants en santé mentale » étaient des membres du clergé, ayant étudié la théologie et la philosophie, pratiquant les rituels et rites religieux. Prêtres, aumôniers, soeurs, accueillaient les plus démunis, conseillaient les gens dans le doute, recommandaient des prières et des rituels pour sortir des troubles et des péchés, accompagnaient dans les étapes de la vie et de la mort. Pour avoir côtoyé ce monde religieux en bas âge, j’ai été familiarisée avec ce qu’on appelait « la vocation ». « La vocation », cet appel de Dieu à ses disciples, pour qu’ils intègrent l’Église et répandent ses enseignements… Je me suis demandée : « Se pourrait-il que le choix de devenir psychologue se présente un peu, parfois, comme « la vocation »? Je me souviens du moment où je suis devenue psychologue une première fois. Je n’étais pas très vieille. Le contexte était dysfonctionnel. Si le choix de la profession de psychologue n’est peut-être pas tout-à-fait l’équivalent de « la vocation », il peut parfois se présenter comme un rôle que l’on apprend à jouer très tôt, pour survivre émotionnellement, pour aider un parent ou un proche (et donc aussi se donner un semblant de réponse à des besoins de sécurité) et se sortir la tête hors de l’eau. Dans ce cas, on ne parle pas de choix, mais d’une bouée dans le traumatisme émotionnel. Et quand j’ai pris conscience que d’exercer cette profession, autant elle avait été un salut et une bouée à une époque, pouvait me replonger dans ce rôle aliénant qui me rappelait les souffrances et la détresse autour et en moi, je n’étais plus sûre que c’était ce que je voulais faire de ma vie… de MA vie. Se poser cette question en début de carrière est essentiel. Se donner le droit (et se le redonner parfois en cours de carrière aussi!) de se poser la question redonne de l’espace là où il en a parfois manqué. En ce qui me concerne, me poser la question m’a permis d’identifier que je ne cadrais pas, à cette période de ma carrière, avec cette clientèle que je côtoyais et que j’étais sensée aider. Je me suis tournée vers un lieu d’exercice et un modèle d’intervention où je sentais que je pouvais exister, où y mettre du mien me redonnait du pouvoir dans ce rôle qui pouvait me coincer autrement. Et c’est là que j’ai commencé à avoir du plaisir dans mon travail, à aimer ce que je faisais. Et là, j’ai senti que j’avais fait un choix, mon choix, de devenir (cette) psychologue (trouver des repères - théoriques, des modèles de thérapeutes - qui nous permettent de développer notre style personnel peut s’avérer crucial dans cette quête de définition du soi professionnel). Un peu beaucoup parce que j’apprenais à être présente à moi-même, devant l’autre souffrant que je voulais accompagner et aider. Un psychologue et psychanalyste américain de la Psychologie du soi du nom de Richard Geist, a écrit, dans un texte sur l’importance de la posture empathique en début de thérapie, quelque chose qui m’a beaucoup soutenu durant cette période. Il y décrivait le travail avec une patiente et comment la thérapie était devenue plus efficace quand il s’était respecté dans son style personnel et son intuition face à cette patiente et qu’il s’était tourné vers un modèle d’intervention qui lui ressemblait plus (Geist, 2007). C’est seulement quand on a fait ce choix qu’on peut se tourner vers l’adversité sans y perdre trop de plumes. Notre façon d’aider l’autre, notre posture quand on vient en aide, va être influencée par notre présence à nous-mêmes. Le choix de devenir psychologue est donc un choix qui se fait en même temps qu’on choisit de devenir nous-mêmes, autant cliché cela puisse paraître. C’est ensuite ce qui fera toute la différence dans notre plaisir à travailler, dans notre ouverture à l’autre et qui favorisera la « vraie rencontre » avec lui, dans notre efficacité comme thérapeute aussi, et qui donnera un sens différent à nos traumatismes émotionnels. Référence : 1. Geist, R.A. (2007). Who are you, Who am I and where are we going, sustained empathic immersion in the opening phase of treatment. Dans International Journal of Psychoanalytic Self Psychology, 2(1), 1-26.
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Juin 2022
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