Les premières années de pratique comme jeune professionnel sont des années prisées dans plusieurs domaines. Dans certains milieux, on s’arrache les jeunes professionnels dynamiques qui ne comptent pas leurs heures et n’ont pas d’obligations familiales restreignantes. En droit par exemple, les premières années de travail sont des années importantes pour faire sa place et ses preuves, dans le milieu corporatif aussi, et sont le fondement d’une carrière prometteuse et prolifique. Dans le domaine de la psychothérapie, les premières années professionnelles sont ce que j’appellerais « l’âge ingrat » de notre carrière. Un peu comme l’adolescent qui a les bras trop longs et le nez boutonneux (un peu.. mais quand même pas à ce point!), le jeune psychologue peut susciter malaises et inconforts chez sa nouvelle clientèle lorsqu’il ouvre la porte de son bureau pour la première fois à son client et se propose de jouer un rôle déterminant dans sa vie… et qu’il est si jeune!
« Comment pourras-tu m’aider avec mes enfants si tu n’as pas d’enfants toi-même? », « Tu verras quand tu passeras par là toi-même, c’est pas facile! », « Ça fait combien d’années que tu pratiques ? » Autant de phrases prononcées sur un ton inquiet ou confrontant au début de ma pratique… Une partie de soi a envie de se défendre de sa pertinence, de montrer son expertise et ses connaissances, ou de rassurer directement le client qui pose de telles questions ou exprime de telles réticences. Une autre comprend et ressent effectivement toutes les croûtes à manger pour exercer ce rôle important avec sagesse et humilité. Une autre encore se questionne sur les enjeux derrière cette insécurité sentie, ceux du client mais aussi ceux du thérapeute… Au-delà du fait de concevoir qu’il peut y avoir tout simplement des inquiétudes ou résistances à accueillir chez les clients(patients) qui se trouvent en présence d’un jeune psy (qui doit aussi construire sa confiance et son sentiment de compétence), il n’en demeure pas moins que le jeune psy peut parfois vivre des moments précaires en début de carrière et qu’il y a des défis à affronter à se bâtir une clientèle. Différemment d’un médecin par exemple, le fait de sortir fraîchement de l’université et d’être au fait des plus récentes données probantes ne lui garantit pas une clientèle et sa confiance. Les jeunes médecins ont certainement eux aussi leurs défis et traversent probablement un chemin similaire dans l’expérience du diagnostic et du traitement, mais la compétence que ça prend pour faire ce travail relationnel complexe qu’est la psychothérapie est assez différente. Les processus thérapeutiques étant tous singuliers, le changement et la transformation chez les clients étant quelque chose qui demande tolérance à l’affect et son ambiguïté, expérience et confiance en soi et en l’autre, le jeune psy a peu de repères « de processus » parfois pour nager dans ces vagues émotionnelles et relationnelles (puisqu’il peut moins se référer à une quantité de suivis passés qu’un psy avec plusieurs années d’expérience). Et les protocoles de soins (ou encore, se « calquer » sur le style d’un superviseur) paraissent alors rassurants à prime abord mais ne lui garantissent pas des succès et pire, peuvent le mener vers des échecs thérapeutiques (s’il les applique sans l’intégration ou la présence à soi et à l’autre). Bien sûr, le jeune psy peut se rassurer du fait que le temps et les expériences finiront par enrichir son parcours et que des jours meilleurs l’attendront, une fois quelques cheveux blancs sortis. Mais pendant que le temps prend son temps, comment on fait pour gérer l’anxiété que cela amène et pour s’accompagner et apprendre dans ce processus ? Et, est-ce ok de se permettre d’apprendre quand un client a des attentes légitimes d’aller mieux et un budget qui n’est pas illimité (quand on pratique au privé)? Est-ce ok aussi de se permettre d’apprendre quand les clients que l’on reçoit présentent de grandes détresses et problématiques (je pense aux jeunes professionnels dans le réseau public qui sont parfois isolés ou peu nombreux dans les équipes santé mentale) ? Certains souligneront l’importance de se connaître comme jeune psy et de reconnaître ses limites et référer les clients dans les situations nécessaires. D’autres diront que l’apprentissage se fait quand on se confronte à nos limites et qu’on tente de se développer plus loin, de les étirer en quelque sorte. Si on réfère un client à chaque fois qu’on fait face à une limite, on va rester à peu près au même point dans notre développement professionnel. Et on ne pourra que compter sur nos expériences de vie pour nous développer personnellement, ce qui aura un impact sur le professionnel on l’espère. Faire face à nos limites est rarement une expérience agréable et confortable. Mais c’est une occasion de développement à chaque fois. Et c’est parce que c’est une occasion de développement qui peut être encouragée qu’on parle peu du « comment ça se vit expérientiellement parlant ». On va donc soit décourager le « risque » et référer, soit encourager le « risque » et la recherche de formation et d’outils. Bien sûr, on aura certainement besoin de lectures, de formations, de supervision, de stimulation au contact d’autres intérêts et domaines (arts, culture, sports, littérature, etc.), de discussions avec collègues, etc. La curiosité et la stimulation sont des variables importantes dans le développement de tout humain, et le sont particulièrement pour le psy, qui aide d’autres humains d’univers et de mondes différents. Mais si on s’attarde un peu à l’expérience sentie quand on se confronte à nos limites comme psy, avec un client, et le « ici et maintenant »… En ce qui me concerne, dépendant des ingrédients qui contribuent à l’impasse avec un client, l’expérience émotionnelle que je peux faire quand je suis confrontée à mes limites varie d’un sentiment plus ou moins confortable d’incompréhension, d’étrangeté, de flou et d’inconnu à un sentiment d’angoisse, de dérégulation temporaire où je ne suis plus sûre de rien, où je cherche le chemin, intérieur d’abord (c’est ici qu’il peut y avoir des dérapages d’auto-protection du type « mon client est tellement TPL - ou vous pouvez remplacer le diagnostic le plus ingrat ou le concept que vous chérissez pour diminuer l’angoisse de l’incertitude -, y’a rien à faire avec lui! »), pour accompagner ou « marcher » au côté de l’autre ensuite et réfléchir avec lui. Les mots peuvent se trouver graduellement dans le vif de l’action mais parfois pas aussi et ça peut prendre quelques jours de régulation et de réflexion. Il n’est pas nécessaire d’avoir vécu ce que nos clients ont vécu pour comprendre leur expérience et les aider, mais il est nécessaire d’avoir une ouverture à des milieux/univers moins familiers et surtout, à l’expérience d’être déstabilisé. C’est la capacité à s’intéresser qui est importante et qui va limiter ces moments où on va être porté à juger l’autre devant soi, quand il nous paraît étranger à notre réalité. Si on fait de l’ « âgisme » , on dira que le jeune psy peut être mois populaire parce qu’il peut paraître manquer d’expériences de vie de toutes sortes. Or, il est aussi bien souvent plus flexible, moins fermé ou influencé par son vécu, de manière à incarner davantage une posture intéressée et curieuse. S’admettre que l’on ne connaît pas tout et être curieux et ouvert à découvrir peut s’avérer une posture, lorsqu’incarnée, qui est rassurante, mature et sage pour le client au contact du jeune psy. C’est probablement pour cette raison que les jeunes psychologues sont parfois plus efficaces que ceux qui sont perçus comme très compétents dans leur modèle d’intervention (Duncan, 2010, Lecomte et al., 2004). Cette idée peut aider à tolérer le processus d’apprentissage, le temps que ça prend pour se bâtir une clientèle et à tolérer ces moments plus difficiles où l’âge et l’insécurité qui y est associée font figure et sont abordés avec les clients(patients). Et donc, jeunes psys, vous n’avez pas à tout savoir! Mais vous pouvez être indulgents envers vous-mêmes et admettre, pour vous mêmes et parfois devant l’autre aussi, que vous ne savez pas tout. Quand vous vous trouvez à « cet endroit » ou ce moment où vous ne savez pas quoi faire ou dire avec votre client(patient), que vous êtes déstabilisés, c’est le temps de vous reculer sur votre chaise et d’aller à votre rencontre (et ce, des jours durant s’il le faut, pour contacter vos propres émotions, sentiments et besoins et retrouver une régulation) puis à la rencontre du client, d’écouter plus simplement, poser des questions pour connaître sa réalité, ses besoins, et d’apprendre, avec son aide, comment vous l’aiderez ensuite. Références 1. Duncan, B. (2010). On becoming a better therapist. Psychotherapy in Australia. Vol. 16, no 4, 42-51. 2. Lecomte, C., Savard, R., Drouin, M-S., Guillon, V. (2004). Qui sont les psychothérapeutes efficaces ? Implications pour la formation en psychologie. Revue québécoise de psychologie, Vol. 25, No 3, 73-102.
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Juin 2022
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